Loi Duplomb

25 juillet 2025

Loi Duplomb : une pétition record qui secoue le débat politique : proposition d’explications d’une chercheuse en citoyenneté

Faculté et Recherche

Dans un contexte de crise démocratique marqué par une perte de confiance dans les institutions, une représentativité affaiblie et une abstention croissante, la participation citoyenne est souvent présentée comme une réponse salvatrice. Aujourd’hui, les citoyens disposent de multiples outils pour s’impliquer dans la vie démocratique, tant au niveau national que local, de manière collective ou individuelle. Ces dispositifs incluent notamment les référendums, les consultations citoyennes, les mini-publics délibératifs (comme les conventions citoyennes, conseils ou jurys citoyens), les comités de quartier ou encore les plateformes numériques collaboratives. Pourtant, une question demeure : les crises économiques, sociales, sanitaires et environnementales qui ont marqué les premières décennies du XXIe siècle auraient-elles connu une autre trajectoire si les citoyens avaient été véritablement écoutés et associés à l’élaboration des politiques publiques ? Cette interrogation conduit à s’interroger sur la nécessité de faire évoluer notre modèle démocratique vers une forme plus participative. Il est alors supposé que la voie à suivre consiste à articuler démocratie représentative et démocratie participative, ce qui explique l’adoption de plusieurs lois instaurant l’obligation de recourir à des procédures participatives dans certains domaines de l’action publique.

L’exemple de la Loi Duplomb adoptée le 8 juillet 2025 à l’Assemblée nationale est au coeur de ce besoin de participation citoyenne et vient remettre en cause les prises de décision publique sans débat citoyen préalable. Cette loi vise à lever les contraintes de l’exercice du métier d’agriculteur en facilitant les élevages intensifs, l’installation de mégabassines et la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018 mais autorisé au niveau européen jusqu’en 2033. Au-delà des clivages politiques et des positionnements militants, laissés à l’appréciation des législateurs quant aux revendications notamment sur la réintroduction de l’acétamipride, l’intérêt réside ici dans la capacité démocratique proposée aux citoyens de soutenir une pétition pour remettre une loi au centre du débat public. Un dispositif intéressant qui donne un nouveau souffle à la participation citoyenne puisque cette pétition a réuni près de 2 millions de signatures. Pour rappel, le droit de pétition, régi par le règlement de l’Assemblée nationale, permet aux citoyens de faire entendre leur voix : toute pétition réunissant plus de 500 000 signatures réparties sur au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer peut faire l’objet d’un débat à l’Assemblée par les députés. Par conséquent, ce plus d’un million de citoyens ayant votés secoue le débat politique et vient renforcer la nécessité de créer un nouveau référentiel de l’action publique où toutes lois doivent être préalablement discutées par les citoyens dans les territoires. Il est en effet important au regard des enjeux sociaux de la planification écologique des ressources de 2022 mené par le gouvernement français de mettre en application sa volonté d’y associer les citoyens. En situation d’incertitude et de planification sur le moyen et long terme en termes de politiques publiques, les décideurs politiques doivent s’appuyer sur des communautés épistémiques, qui les aident à clarifier leurs intérêts, à structurer les problèmes et à élaborer des solutions concrètes. Ce processus implique une collaboration avec des scientifiques et des décideurs partageant leurs idées mais pas qu’eux des citoyens dont l’expertise peut être pertinente. Progressivement, l’interaction entre savoirs scientifiques, politiques et savoirs citoyens conduit à une co-construction des politiques publiques. En effet la connaissance mobilise un réseau d’expertise donc une communauté faisant le lien entre les chercheurs, techniciens décideurs publics et citoyens. Ce lien est rendu possible puisque les membres d’une communauté développent ensemble une compréhension partagée de leur appartenance, fondée sur des interactions qui relève d’un processus collectif porté par un réseau d’acteurs partageant une vision commune.

La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, s’est donc déclarée favorable à un tel débat, une première sous la Ve République, mais a précisé qu’il n’annulera pas la loi. Mais, ce qui est intéressant c’est de pouvoir donner la parole aux scientifiques, juristes, ONG, enseignants, agriculteurs et citoyens signataires pour peut-être rebattre les cartes de la décision. En effet, tout cela révèle d’un besoin de reconnaissance de l’expertise citoyenne, qui vient compléter et parfois interroger l’expertise scientifique et technocratique. Ce positionnement institutionnel contribue ainsi à réduire la perception d’une expertise réservée à une élite, en affirmant que le monopole de la connaissance ne saurait appartenir à une seule catégorie d’acteurs. En valorisant les savoirs issus du terrain, cette reconnaissance permet aussi de limiter les biais cognitifs susceptibles d’altérer la qualité de la décision politique.

angelique chassy

Angelique CHASSY

Professeure associée en économie

Caen