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francois patissier
François Patissier

Comédien

Vivre en parallèle de sa passion

La même année, je suis entré en prépa à l'ESC Rouen et au conservatoire de théâtre dans cette même ville. Après les concours, j'ai intégré l'ESC Le Havre, actuellement EM Normandie. J'ai arrêté le conservatoire car je ne pouvais plus faire les deux.

Pour l'anecdote, cette année-là il y avait au conservatoire les acteurs Franck Dubosc, Valérie Lemercier et Karin Viard. Je ne saurai jamais ce qui me serait arrivé si j'étais resté au conservatoire. J'ai vécu trois années exceptionnelles durant mes études au Havre. Nous avons créé un club de théâtre à l'École et monté plusieurs spectacles.

En troisième année, nous avons créé le premier festival inter-école : le café-théâtre.

Des étudiants de plusieurs écoles sont venus à cette occasion. Avec Laurent, un ami de ma promo, nous avions prévu des sketchs qui faisaient la jonction entre les interventions de chaque école. À la fin de la soirée, tout le monde est venu nous voir pour nous dire que nos jonctions étaient énormes ! On s'est dit avec Laurent qu'il y avait peut-être une opportunité à creuser.

Une année, il a fallu que je parte faire mon service militaire. Il était hors de question que je parte à l'armée ! Il était possible de faire à la place une période de 16 mois en entreprise ou pour une administration à l'étranger. J'ai trouvé un poste à l'INSEE en Guyane. Lorsque j'ai annoncé à mes amis de promo que j'allais faire des statistiques, ils ont beaucoup ri. Mon niveau de maths était plutôt moyen.

Monter son premier spectacle

Nous avions fait le pari avec Laurent qu'à mon retour nous allions monter un spectacle. Nous avons loué un petit théâtre dans le 20e arrondissement de Paris. Nous avons passé quelques appels pour inviter les gens à y assister et nous sommes retrouvés avec 400 réservations ! Il a donc fallu louer le théâtre pour quatre représentations.

J'avais déjà trouvé un job dans le marketing et Laurent avait déjà commencé à travailler. Nous n'avions pas spécialement besoin d'argent. Avec ces 400 spectateurs, nous avons fait un spectacle bien marrant suivi d'une grosse fête à Fontainebleau financée avec la recette du spectacle. 

Deux ans plus tard, nous avons décidé de monter un deuxième spectacle. Nous avons fait six représentations car il y avait encore plus d'inscrits. Au lieu de faire une fête, nous avons offert le champagne à tous les spectateurs. 

Face à ce succès, je me suis dit qu'il y avait sûrement quelque chose à creuser. Nous avons même eu l'idée d'un troisième spectacle. Nous nous sommes dit avec Laurent : et si on se lançait ? 

Pour ma part, j'ai même repris des cours de théâtre. J'avais commencé à bosser pour le groupe Hachette pour la promotion du premier parc d'attraction européen. Je m'occupais du marketing et de la gestion des stocks. Il y avait sept boutiques et un supermarché.

Mon responsable m'annonce le lancement d'une nouvelle division. Très satisfait de mon travail, il souhaitait que je travaille seul avec un directeur. Seulement j'avais déjà accepté la proposition d'une agence de pub. Hachette avait renouvelé ma période d'essai. Il était trop tard, ma décision était prise.

Saisir l'opportunité

Je suis parti travailler comme chef de pub pour l'agence Eldorado sur les Champs-Élysées, en face du Fouquet's. Nous avions des budgets incroyables et travaillions pour de grandes marques comme Cacharel, Benetton, Hermès, Les Galeries Lafayette... Je suis arrivé comme un OVNI ! La standardiste m'a avoué plus tard, qu'à mon arrivée, elle m'avait pris pour un coursier. 

Au bout de 2 ans et demi au sein de cette agence, j'ai eu une prise de conscience.

Le responsable m'a annoncé que nous avions décroché un contrat dans le secteur humanitaire et que nous allions "nous en mettre plein les poches". J'ai été choqué par cette annonce ! Je me suis dit que je ne servais à rien.

Je suis allé voir mon chef pour lui demander de m'augmenter et de revoir mes missions sinon je partais de l'agence. Il m'a dit qu'il allait étudier la question. Pourtant je n'avais aucune stratégie si je quittais ce poste.

Une heure après, le directeur du petit théâtre du 20e arrondissement m'appelle pour m'annoncer qu'il se lance dans la programmation de spectacles. Il souhaite m'engager pour gérer la communication.

Dans ma tête, j'avais déjà envie d'y aller. Pourtant ma raison me disait : tu vas partir d'une super agence pour aller dans un tout petit théâtre, tu vas diviser ton salaire par trois. J'y ai réfléchi tout le weekend... Je me suis imaginé ne pas y aller et le regretter 10 ans plus tard !

Se lancer en tant que comédien

J'ai travaillé dans ce théâtre pendant un an. Cela s'est mal passé car le directeur du théâtre a recruté trop de personnes.

Ce ras-le-bol m'a finalement donné l'envie de me lancer comme comédien.

J'ai donc écrit mon premier seul en scène qui s'intitulait "Dessous de Fables", un spectacle autour des Fables de La Fontaine. 

Je me suis retrouvé à jouer ce spectacle pendant deux mois au café-théâtre "Au Bec Fin" près de l'Opéra. Ensuite, j'ai écrit une autre pièce intitulée "Active la vie". Pour faire sa promotion, j'ai téléphoné à cent théâtres. Cinquante m'ont demandé de leur envoyer un courrier. Vingt ont demandé un dossier puis dix ont demandé un texte. Trois l'ont lu et parmi ces trois, un théâtre a souhaité le prendre, le théâtre Essaïon à côté de Beaubourg.

Je me rends à ce théâtre pour fixer les dates de spectacle. La responsable m'indique qu'elle trouve le texte très bien. Dix minutes après, nous avions déjà fixé les dates de représentation.

Le spectacle démarre fort ! Les premiers jours nous avions beaucoup de spectateurs, puis leur nombre diminue assez rapidement.

La directrice du Théâtre m'appelle pour me dire qu'elle n'est pas complètement satisfaite de la mise en scène. Elle me propose de continuer encore une semaine puis d'arrêter le spectacle. J'ai essayé de garder mon calme car cela impliquerait de fermer mon entreprise ! En effet, j'avais reçu une subvention pour 26 représentations que j'allais perdre si on annulait maintenant. 

Je lui ai rappelé que nous avions fait les répétitions dans sa propre salle et qu'elle n'était jamais venue les voir. C'était à elle d'assumer. Moi, je voulais aller jusqu'au bout, ce que nous avons fait.

Le nombre de spectateurs est finalement remonté et nous avons fini avec des salles pleines. C'est finalement elle qui est venue avec le champagne !

Faire le choix d'un métier artistique

Dans mon métier artistique, on me dit souvent que je joue, chante et écrit bien. Pourtant, choisir la voie artistique n'est pas avantageuse d'un point de vue financier. Je me suis demandé pourquoi je ne travaillais pas davantage dans le spectacle. Je pense que j'avais trop de filets financiers. Il fallait que je plonge vraiment, ce que j'ai fait.

Mes revenus artistiques ont augmenté parce que j'ai rencontré beaucoup de monde. Mais cela n'a pas rattrapé ce que j'avais auparavant. Je me suis dit qu'il fallait peut-être me lancer dans une spécialité pour être reconnu. J'ai demandé conseil à d'autres artistes plus âgés que moi qui m'ont dit qu'il était mieux de rester polyvalent. J'ai suivi ce conseil avec l'envie d'avancer.

Tant que j'ai un toit, la santé et que je subviens à mes besoins, tout va bien ! Le reste c'est du bonus.

Des copains de ma promo qui ont des postes à responsabilité me demandent souvent : "François, quand vas-tu percer ?" Je leur réponds : "Moi, j'ai déjà percé depuis plus de 20 ans."

Si pour eux, percer signifie être tête d'affiche au cinéma, il faut donc faire partie des 150 acteurs choisis parmi des milliers de comédiens existant en France. Cela revient à leur demander : "Quand deviendrez-vous PDG d'une entreprise du CAC 40 ?"

Dans le monde du travail, on peut avoir deux sortes de vision. Travailler pour faire un maximum d'argent afin de pouvoir s'éclater à côté. Ou accepter que sa passion puisse devenir un travail, quitte à ne plus se rendre compte que l'on est en train de travailler.

Les deux ont des inconvénients : quand on travaille pour l'argent, on veut toujours en avoir plus et on a encore moins de temps pour se faire plaisir. Quand on confond passion et travail, tout se mélange et il faut savoir faire la part des choses.

Quand on travaille en entreprise, on peut se plaindre de son patron alors que dans un métier artistique, on ne peut se plaindre que de soi-même ! On doit faire des réunions permanentes avec soi-même pour faire le point sur son organisation. Je suis parfois dur avec moi-même. Quand je n'ai pas assez bossé, j'estime que je ne mérite pas telle ou telle chose.

Un conseil que je donnerais : quand tu réfléchis à ton avenir, demande-toi de quoi tu as envie. Si quelque chose te vient spontanément, essaie dans cette voie. Et si tu tombes, tu te relèveras. Tu ne te retrouveras pas dans 20 ou 30 ans à regretter de ne pas avoir essayé.

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