Table ronde : les métiers de la logistique et Supply Chain

Logistique

Table ronde : les métiers de la logistique et Supply Chain

Intervenants

  • Mohammed Hichame Benbitour (MHB)
    Professeur assistant en Supply Chain
  • Antoine Dagnet (AD)
    Responsable des achats chez Safran
  • Antoine Moffroid (AM)
    Responsable logistique chez La Ruche qui dit oui

Que signifie travailler dans la Supply Chain aujourd’hui ?

MHB : La Supply Chain concerne l’ensemble des acteurs qui sont impliqués directement ou indirectement pour satisfaire les besoins des clients : les magasins, les distributeurs, les fabricants, les fournisseurs, les transporteurs…

Le client joue également un rôle important puisqu’il constitue la raison d’être de la chaîne. C’est lui qui, au final, finance toute la chaîne avec les magasins qui paient les distributeurs, qui paient les fabricants, qui paient les fournisseurs… Tout le travail de la Supply Chain est orienté vers le client.

La Supply Chain est impliquée dans beaucoup de décisions qui vont garantir le bon fonctionnement de l’entreprise. Elle est responsable de l’acheminement des produits vers les clients. De ce fait, elle est impliquée directement dans la création de la valeur des produits et services que l’entreprise propose.

Cette Supply Chain varie d’un secteur d’activité à un autre, que ce soit dans la grande distribution, dans l’automobile, dans la défense, dans l’aéronautique… Ces structures sont différentes mais on y retrouve toujours les mêmes fondamentaux, avec pratiquement les mêmes types de décisions dans toutes les Supply Chain.

Que signifie être responsable des achats aujourd’hui ?

AD : Cela signifie garantir la meilleure réponse à la qualité, au coût et au délai. C’est mettre toutes ces notions en harmonie pour proposer la meilleure solution à son entreprise, être en ligne avec le marché, voire mieux positionné dans le but de garantir le bon fonctionnement de l’entreprise.

Cela implique d’interagir avec des partenaires externes (les fournisseurs) et des partenaires interne (la chaîne de fabrication).

Safran est un grand groupe aéronautique qui fournit de nombreux équipements pour faire voler les avions, les hélicoptères et autres appareils. Ce sont principalement des moteurs, des trains d’atterrissage…

Comment évoluent les métiers de la Supply Chain ?

MHB : la Supply Chain a beaucoup évolué ces dernières années avec la digitalisation et les enjeux environnementaux. On utilise de plus en plus les technologies digitales dans la Supply Chain : l’internet des objets, le Big Data, l’analyse de données, la Blockchain… c’est-à-dire toutes les technologies qui peuvent faciliter la circulation des flux physiques, d’informations et financiers à l’intérieur de la Supply Chain.

Concernant les enjeux environnementaux, c’est un sujet majeur aujourd’hui pour toutes les entreprises dans tous les secteurs. Il y a beaucoup de pression sur celles-ci de la part des instances européennes et des clients sur les aspects sociaux et environnementaux. La durabilité consiste à utiliser des ressources aujourd’hui sans compromettre la capacité des générations futures à utiliser ces ressources.

AD : On constate ces phénomènes chez Safran aussi. La durabilité est un processus au long terme qui est déjà enclenché. Nous travaillons beaucoup sur la réutilisation des matériaux. Les chutes de métaux sont refondues pour en faire d’autres pièces. Cela a un intérêt économique et environnemental.

Pourquoi avoir choisi un métier dans la logistique ?

AD : J’ai toujours eu la fibre pour les échanges internationaux, l’envie d’étudier ce qui se passe dans les entreprises dans le monde. Partir au Havre me semblait assez logique en termes de crédibilité.

Je suis très satisfait de ce qu’a pu m’apporter l’École durant mes études. J’ai fait un stage qui m’a vraiment aidé à trouver ma voie. C’était chez St-Gobain, au service achats dans le domaine des métaux précieux et de l’énergie. Les fournisseurs étaient exclusivement à l’étranger. Cela m’a beaucoup apporté, d’une part la confirmation de mon intérêt pour ce type de métier, et d’autre part, les discussions que j’ai pu avoir avec mon tuteur m’ont guidé à faire une troisième année à l’international. Le point de départ, c’est vraiment cette attirance pour les relations internationales.

Cet aspect international est aujourd’hui très présent dans mon métier. On vit dans un monde interconnecté. J’ai une équipe qui est répartie entre deux continents, une partie en Asie et l’autre en France. Mes fournisseurs sont basés à la fois en Europe de l’Est, en France et sur une diagonale qui va de Singapour à Tokyo.

Comment les dernières crises ont impacté ce secteur ?

AD : Quand le Covid a démarré en Asie, les équipes et les fournisseurs ont été impactés. Aujourd’hui, les approvisionnements le sont également, notamment avec les événements en Ukraine. Ces problèmes d’approvisionnement sont un sujet chez Safran comme ça peut l’être aussi chez Airbus.

Mais nous gérons ces problèmes. Cela concerne principalement des métaux comme le titane et le nickel pour lesquels la Russie a toujours été un gros fournisseur. Face à ces événements, nous nous devons de redessiner notre schéma d’approvisionnement avec les contraintes que nous avons aujourd’hui. Tout cela impacte notre quotidien.

MHB : Il y a en effet tous ces problèmes d’approvisionnements en matériaux dans l’industrie automobile, aéronautique et dans d’autres industries. J’ai surtout été impressionné par l’impact de cette guerre sur la sécurité alimentaire. L’Ukraine et la Russie sont des grands fournisseurs de blé. De nombreux pays ont été impactés. Cela remet en cause la sécurité alimentaire de leurs populations.

La Supply Chain est très complexe car elle implique de nombreux acteurs partout dans le monde. Si un seul maillon ne fonctionne pas bien, toute la chaîne est impactée. C’est ce qu’on constate aujourd’hui avec la crise en Ukraine. On a aussi connu la crise des semi-conducteurs avec la pandémie de Covid. C’est cette diversité dans les acteurs et dans les cultures qui est intéressante en Supply Chain.

Quelles sont les compétences nécessaires pour travailler dans la logistique ?

AM : Il faut avoir un certain goût pour la rigueur, pour la remise en question et l’amélioration continue. On se doit de toujours chercher à mieux faire.  On retrouve toujours les mêmes impondérables que sont les enjeux de coût, de qualité et de délai.

En tant que responsable logistique, j’accompagne des équipes de magasinier et de chefs d’équipes sur le terrain pour préparer les commandes envoyées vers différents canaux. Nous avons un flux de livraison de marchandises à domicile. Nous approvisionnons également des points de distribution éphémères qu’on appelle des ruches.

Depuis 2021, nous approvisionnons également des magasins que nous avons ouvert à plusieurs endroits en région parisienne. Nous avons dû ouvrir des mètres carrés supplémentaires pour pouvoir réceptionner, mettre en stock et expédier correctement la marchandise.

Mon métier consiste à surveiller de différentes manières que toute la chaîne fonctionne bien. Je fonctionne main dans la main avec l’équipe d’approvisionnement qui travaille en direct avec les producteurs locaux et les agriculteurs.

Chez La Ruche Qui Dit Oui, nous nous efforçons de produire de différentes manières des produits issus de l’agriculture locale et de circuits courts. À l’origine en 2011, l’entreprise était une plateforme digitale qui mettait en relation des groupements de consommateurs, avec un ensemble d’agriculteurs qui avaient enregistré les demandes de ces consommateurs et venaient leur livrer sur un point de rendez-vous.

Ce modèle de base était assez autonome et décentralisé. En 10 ans, les tendances de consommation ont beaucoup évolué. Cela fait le lien avec l’enjeu de la digitalisation, parti déjà pris par l’entreprise avec cette interface web qui facilite la mise en relation.

En 2016, il s’est opéré un rapprochement entre La Ruche Qui Dit Oui et le Comptoir Local qui a continué à faire son activité de livraison à domicile mais en changeant de nom. Depuis un peu plus d’un an maintenant, on approvisionne des boutiques.

En 2019, La Ruche Qui Dit Oui générait environ 600 commandes par semaine. Depuis mars 2020, ce nombre est passé à 1 300 commandes par semaine. En termes d’organisation de flux, il a fallu s’adapter. Cela requiert de l’agilité et de l’appétence pour un quotidien qui change beaucoup car il y a beaucoup d’aléas à gérer.

Dans le temps, il faut être capable de gérer l’urgence et en parallèle faire en sorte que cet événement soit le plus isolé possible et mettre en place des process pour que cela se reproduise le moins possible.

MHB : Il y a deux grands volets de compétences. D’une part, ce qu’on appelle les compétences techniques qui sont nécessaires pour exercer le métier et d’autre part, les aptitudes professionnelles qui sont elles aussi importantes.

Au sein de la Supply Chain, il existe différents métiers qui vont demander des compétences assez différentes. Cela dépend aussi du type d’entreprise et de son secteur. Pour travailler dans le Supply Chain, il faut bien connaître son fonctionnement, savoir prendre des décisions, gérer les stocks, prévoir la demande du client.

C’est souvent le prévisionniste et l’analyse de la demande qui gèrent cette partie. La prévision de la demande, c’est la donnée d’entrée pour toutes les activités de la chaîne logistique.

Quels sont les tendances au niveau des métiers de la Supply Chain ?

MHB : Il en ressort tout le volet digitalisation avec l’aspect Data et Analytics. Ces domaines intéressent beaucoup de gens. On retrouve le métier de Data Scientist, qui analyse les données. Pratiquement toutes les écoles ont ajouté cette dimension dans leurs cursus de formation. Les étudiants aujourd’hui se sentent capable d’aller attaquer ce genre de métier, d’autant plus que ce sont des postes qui sont bien rémunérés.

On retrouve par ailleurs tous les métiers « classiques » de la Supply Chain qui attirent toujours les diplômées : coordinateur logistique, acheteur, prévisionnistes, responsable logistique et Supply Chain… Pour accéder au poste de directeur Supply Chain, il faut de bonnes connaissances techniques mais aussi plusieurs années d’expérience.

Est-ce que les métiers de la Supply Chain paient bien ?

MHB : Les salaires varient en fonction des entreprises et du secteur mais globalement les métiers de la Supply Chain paient bien. Les responsables et directeur Supply Chain ont des salaires particulièrement élevés.

Comment est organisée La Ruche Qui Dit Oui ?

AM : Sous un même toit de l’entrepôt, on retrouve la responsable approvisionnements qui travaille avec une équipe de 4 à 5 chargés d’approvisionnement qui gèrent chacun une typologie de produits : fruits / légumes, produits secs, produits frais…

On a également la partie logistique dont je suis en charge, avec trois chefs d’équipe et un effectif de 10 à 15 magasiniers.

Enfin, on a la partie transport qui s’occupe de récupérer les commandes que nous avons préparées et d’acheminer la marchandise jusqu’au magasin, point de distribution ou client final. Une partie du transport est gérée en interne et l’autre en externe. On essaie d’optimiser au maximum nos circuits.  Par exemple, des chauffeurs-collecteurs vont aller jusqu’au champ chez l’agriculteur pour récupérer la marchandise. S’il s’avère qu’en chemin, nous avons des clients finaux à livrer, nous le faisons.

Est-ce que les dernières crises ont impacté votre activité ?

AM : Nous n’en avons pas ressenti les impacts pour le moment. Nous n’avons pas eu de ruptures particulières au niveau de nos approvisionnements. Comme l’enjeu de notre entreprise, c’est d’approvisionner les clients finaux de manière locale, la gestion est beaucoup plus simple à notre niveau. Il est plus facile de trouver des champignons aux portes de Paris que des métaux comme le titane qui provient de l’étranger.

Quels sont vos conseils pour les futurs étudiants ?

MHB : Pour suivre un cursus en Supply Chain, l’École offre plusieurs programmes que ce soit des MS, MSc ou des spécialisations du Programme Grande École. On obtient toutes les connaissances nécessaires pour se sentir à l’aise dans les métiers de la Supply Chain. J’interviens dans plusieurs de ces programmes.

La durabilité est une partie de l’identité de l’École qui est très investie sur cette thématique. Il existe même des programmes spécifiques sur la thématique de la durabilité.

AM : Ce n’est pas facile de répondre à cette question dans la mesure où je me suis retrouvé dans la logistique par concours de circonstance. J’ai finalement fini par m’y plaire. C’est un job étudiant chez Décathlon en première année où je vendais des vélos tous les samedis qui m’a mis le pied dedans.

En cycle Master, j’ai trouvé une alternance grâce à l’École par les biais des annonces qui nous sont transmises. J’avais envie de découvrir l’envers du décor du magasin. C’est pourquoi j’ai fait mon alternance dans un entrepôt Décathlon à Caen. Cette expérience m’a permis de valider mon choix de carrière.

Mon responsable de Master a fait preuve d’une grande compréhension par rapport aux besoins de l’entreprise. J’ai parfois dû m’absenter de cours pour aller en entreprise à cause de certaines responsabilités. Je soutiens et recommande ce modèle de l’alternance.

Le conseil que je donnerais, c’est de tester et d’expérimenter pour savoir ce qui vous plaît vraiment. Si vous ne choisissez pas le domaine de la logistique, il reste également celui du transport et des approvisionnements.

Y a-t-il des secteurs d’activité qui recrutent plus que d’autres ?

MHB : La grande distribution attire toujours de nos jours. Pendant la crise sanitaire, toutes les entreprises et usines étaient fermées sauf la grande distribution. C’est un secteur qui continue à beaucoup évoluer en France, notamment tout ce qui concerne l’agro-alimentaire.

La grande distribution va continuer à recruter encore davantage. Je le vois clairement avec mes étudiants en alternance qui sont nombreux dans ce secteur. Il y a également d’autres secteurs comme l’industrie, l’aéronautique, l’automobile… où les métiers de la Supply Chain sont vraiment très présents.

Avec l’essor fulgurant de la digitalisation et du Big Data, on constate l’émergence de nouveaux métiers en lien avec l’analyse de données et la Data en général.

Les métiers de la Supply Chain et logistique